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DANCE INFINIE
- [ danse infinie ] lumière sublime et dangereuse NATARAJ
je te découvre, allongé contre un sable serein, brutal et simple, et soudain c'est ton oeil qui me contient, lentement écarquillé jusqu'aux limites du monde ; en silence l'histoire de ce monde éteint se déploie dans les sous-terrains de mon esprit, posé parmi tes esquisses, l'arbre s'entr'ouvre avec la joie tendre de l'attente, et le sol commence à se mouvoir, comme un lit de serpents, comme un vent chargé de fleurs et de feuilles mortes, comme un infini délibéré - mais les fleurs ne cessent de se quereller quant à leur couleur et la terre est l'apanage de mon incertitude, mise en place par un liquide indirect, une étude aveugle un soir d'été un groupe de fous et de dieux qui rampent au milieu des chiens, qui refusent les ordres de la guerre et l'harmonie des villes - du reste mes doigts s'enfonçent doucement dans le tronc du grand hêtre qui me domine, et mes jambes sont formées d'un métal complexe qui, à l'époque, troublait la composition totale, insérée dans la danse interminable avec sa chevelure immense et ses grelots, sa poussière, ses racines dispersées sur ma peau incrustée d'un rythme indescriptible méprisant le mal et la fatigue, les brûlures hypnotiques de mes pieds, la mémoire de Bernheim, le chant de sept mille insectes crucifiés sans aucun critère, détachés de leurs actions, incarnés pour toujours dans la fièvre infime, éparpillés parmi les Nations emplies de gratitude : lentement la nuit devient stridente, la lune est rouge et calme, ambroisie, le tertre s'écroule, ma veste noire est couverte de terre et d'êtres psychiques, mais je ne comprends plus, je danse sans dormir
ensuite d'autres portes s'ouvrent et des hommes lointains revêtent l'aspect de douze animaux sertis dans la chaîne des masques immobiles, chargés de lierre et de lianes, dans la pénombre et les cris des singes absents, la peur et la solitude éternelles, tandis qu'un temple oublié perd peu à peu sa vraisemblance (ses marches sont gravées de hiéroglyphes sanguinolants) ses statues sont vivantes et ma danse est inscrite, ô effroi ! dans l'une de ses fresques, celle de la crypte, et je constate ainsi que je n'existe pas, que mon corps est l'un de ces hiéroglyphes, et malgré la musique absurde et le fracas des tambours géants, couverts de grillages noirs, le silence continue de régner entre les colonnes, et je m'agite incohérent sur mon lit de poussière douce et pertinente ; ma fureur est sous-marine, innocente comme un noyau dur, un dieu baillonné, enfoui sous un texte sacré, perdu - science antique où le fidèle est certain de devoir mourir, et ma danse construit des attitudes mathématiques dont l'éclat change à chaque instant :
je retourne au cri et je vois mon corps ramper au loin, toujours entre l'absence et le cadavre du monde - le dieu aztèque masque un moment son monstrueux visage et l'univers tente alors d'émerger, en suspens, couvert de signes vivants, terriblement redondants : la chevelure balbutiante du sens couverte de feuillages bruns, tragédie indistincte à la mémoire des folies humaines, mais je ne comprends plus, je danse
le corridor est désert soudain les arbres sont immobiles - nous essayons alors d'ancrer un vieux hamac volé entre leurs troncs rouges verts nous invoquons un repos impossible nous arborons un sourire implacable un sourire inhumain, attentifs au prochain bouleversement du lieu, son flot nous roule au fond du torrent et sa joie nous broie dans la pulsation du vide, un groupe électrogène énorme, source des royaumes de la terre - engoncés dans nos draperies pourpres, fumant avec un plaisir primitif des Melniks de contrebande, entourés des longs arbres lucides, nous sommes au centre du monde
tout y est douceur y compris la morsure ailée constante des insectes mutilés qui savourent la variance de nos adn dans la surdité de l'esprit - tout communique à la vitesse du désastre, avec l'évidence d'un meurtre impromptu : rien n'est Tel que tu le crois, ils tournent autour de leurs corps tandis que nous savourons la lisière du silence, or vous ignorez l'image inéluctable qui préside au verbiage de tous nos sens, tandis que je revois dix mille océans furieux compactés dans ma rétine impatiente et soyeuse, tandis que je suis bercé par les plis mouvants de ton pelage - nous rions avec ces feuilles sèches juxtaposées comme de petites cathédrales nègres, quel besoin des mots ? parfois une syllabe inconnue force l'émail luisant de nos lèvres et notre joie redouble
à présent dans les visages des survivants je vois nettement le réseau mouvant des veines, encore un hiéroglyphe pourpre, et c'est la plus horrible des beautés mes amis, car l'Artère est artiste et s'altère en rythme, défiant fatale et fine les formes humaines : le nez les yeux les joues noyés dans ce calligramme instable sont d'étonnants accidents - pourquoi vivre au travers de ces masques restreints ? l'arbre aussi scande et parle, le granit tergiverse et c'est merveille, la fumée grave des apophtegmes millénaires et nous sommes deux jeunes yogis sans âge et sans religion, perdus dans une forêt sans nom, perdus dans une contemplation sans forme ; un dieu qu'on ne nomme pas égalise au songe le tertre de nos sensations, lucides démons synthétiques, un système d'ombres barbares brouille la simplicité de l'être, ces millions d'arbres qui boivent la sève du soleil, ces enfants défoncés qui jouent avec des sphères déroutantes, les chiens qui font cercle autour du vagabond (parfois c'est moi), les camions gigantesques en parade nuptiale, le lac fatidique, un troupeau d'hirondelles sans état civil, détail surréaliste dans lequel nous savourons la lisière du silence
nous sommes des enfants la lune est rouge comme un Jouet neuf ou un vieux parchemin, la forêt lumineuse m'entoure en spirale et si je lève la tête un vertige absolu me saisit : les branches nues m'embrassent et m'emportent dans leur chute, ce sont des nuages brisés, des sentiers inexplorés, des rythmes imbuvables, un mur chargé de crucifix vaudous, des intersections entre des univers incertains, et je tournoie entre les falaises et les dieux
sans dormir et sans comprendre je brûle mes pieds mes souvenirs ma carte d'étudiant mes derniers habits, des ombres me filment en ricanant et mes draps pourpres dansent autour de moi ; un Anglais m'invite en Enfer, l'ignorance accepte et la roue tourne avec ses innombrables cerveaux, ses grelots électroniques, ses orphelins polonais, tandis que la grâce éventre des sacs de riz en disposant des autels païens couverts de cocaïne et de miel, oui, des montagnes de son m'incorporent avec la joie de l'oubli tandis qu'un palimpseste pornographique essaie de nous rappeler que la nature existe encore, et à jamais, amen ; mes doigts brûlent dans toute la largeur et je rencontre enfin ma soeur dans un gouffre creusé par les obus allemands, pour la perdre dès le lendemain, mais mon silence était celui de buddha, tandis qu'ailleurs je parlais comme un christ décadent, un temple en ruine, tronqué derrière les spirales de la canopée, les brumes du soleil nocturne, l'espoir d'exister au-dessus des Villes enflammées, je plane au coeur du ciel slovaque avec la fureur d'un destin et nous dansons comme un concile de momies rosâtres et déchirées, je change de cap à chaque zone de flux, sans doute je ne vais nulle part, mais l'alcool de la nuit est omniprésent, la frayeur est déroutée, fable lancinante, ma peau s'enfuit et la pause est impensable, chaque poignée de poussière est un manuscrit précieux : j'étais au jour de ma mort en 1964 un chimiste accusé de sorcellerie car nul magistrat ne pouvait survivre à mes révélations
mais voici qu'un Robot me sourit et m'encourage, sachant le peu de sérieux des activités humaines : je poursuis ma destruction joyeuse, tandis qu'un vieux maître chinois jongle avec les vapeurs de la terre au milieu du chaos. Placide et bleutée la police militaire est impuissante et je suis prêt à faire usage de la pioche antique et lourde qui tremble d'impatience dans mon poing, que je tienne à peine debout n'est pas une objection : nous brouillerons les frontières, nous danserons dans les postes de douane, nous suffoquerons les barbelés et bientôt nous naviguerons sur un vieux porte-avions lumineux chargé d'animaux fous et de bruits divins, et une armada d'artistes incompréhensibles submergera les tables de la loi, dans un vaste sentiment d'écume, Babylone tremblera des soubresauts de notre liberté inqualifiable
toujours sans dormir je franchis le portail du rêve et des dieux naturels, ancré dans les vents massifs de l'avenir, la simple catharsis de se noyer aveugle et solitaire dans un océan de visions. Sans vivre, des volutes s'échappent de mes bouches sombres, des sphères se forment autour de mon ardeur, bruyantes messagères de réalités impossibles ; le Midrach s'efface et je gravis la montagne des anciens où m'entretenir avec mon dieu n'est plus un meurtre du sens, car ses paroles s'en détournent dès l'origine, le scandale n'a plus lieu d'être ou encore l'injonction : notre monde est trop souple et fragmenté pour qu'un semblant d'Ordre y subsiste - tout coexiste dans la sérénité du chaos
je parle ensuite avec la chienne sombre qui connaît l'emplacement des Pierres et des Portes. Parmi les plantes vénéneuses et le Temple des fumées, les mortels errent - je les contemple sans expliquer mes rêves et sans revenir à la Loi (la musique exacerbée s'estompe) un cercle de fleurs jaunes fait irruption dans la troisième dimension où je me trouve comme un nouveau-né qui serait mort bien des fois ; ma fille me regarde avec un calme terrible, son poil obscur et majestueux comme la Nuit est constellé de points rouges étincelants, qui sont sans doute les atomes mystiques du monde (avec un joyau gris dans la gueule elle attend mes ordres, la découverte de la prochaine Porte, la poursuite du Jeu) le monde est figé, le soleil se lève enfin, les arbres me saluent, sombre encore, la forêt suave et pléthorique chante et me salue, dans une fraîcheur suffocante, et la prairie débute à tâtons la routine de sa joie éternelle, adultère et prolifération sacrée. Or cette célébration cyclique se passe de nos mots, le temps sans angoisse incorpore ses pantins à d'autres armoires archaïques. Je souris et je lance la prochaine Pierre, qui va rouler parmi les herbes rebelles - le monde est figé.
un insecte informe immense existe auprès de la Pierre, la forêt n'en finit pas de s'éveiller ou bien c'est moi qui ne puis sortir de ces quinze secondes, l'animal dissimule le sommeil du monde, le ciel est déjà Ocre ou turquoise, grande est la joie de vivre, le sol élastique et mouvant déconcerte un pied sobre, il faut tourner comme lui pour ne pas succomber, oublier son propre nom et sa destination, son obédience aux caprices de la loi, se perdre dans le vent, abandonner son regard aux surprises de la liberté, et c'est ainsi que je sens ta douceur, dussès-je emplir mes yeux de larmes silencieuses et brouiller le peu de netteté qui me restait. Aboyer me décrypte de ma torpeur amère et tous mes corps se délitent : du fond de cet écrit brisé je t'implore sans objet sans requête et presque sans voix mais qu'un éclat de cette liberté infinie que j'entrevoyais alors et qui déchirait ma chair te parvienne comme une offrande anonyme, le legs de ton propre royaume dont je sondais les marges irréelles, car dans ma danse impossible je t'ai vécu de l'intérieur, lecteur, abandonnant tout comme au cours d'une agonie lente & lucide, traversant un milliard de territoires démoniaques, dont notre humanité n'est qu'une province, et si ton esprit a la moindre affinité avec ma folie, sache que notre fraternité est plus forte que les liens du sang physique, sache que notre intimité est plus profonde que la morale peut le concevoir ;
notre inceste invisible est si total que l'essentiel a toujours été inavouable, mais ce texte est la tentative désespérée d'en paraphraser les bribes dont j'ai vécu la morsure. Aussi, je bannis la cohérence et la certitude externe, et je dois poursuivre la mascarade de mon insanité : je dois lapider le vent, lapider l'espace coupable de nos tourments, le punir de son éternelle innocence, et pleurer, pleurer de ce que tout ce que l'homme a cru faire est vide et carnaval, plongé dans ma sage nudité, attirant à moi d'autres blâmes, prophète ivre et moqueur, enivré de mon exil infini parmi les choses folles, parmi les Sanhedrins de la nature, parce que le silence de la prairie contient Adonaï et Shiva, parce que l'animal toujours présent dans notre âme est fluide et impeccable, parce que la méthode est obscure et interdite : j'ai vu le futur et l'absence, bientôt mon corps partagera ton large repos, bientôt mon esprit s'étendra en plein soleil sur un tapis mauve roulé en spirale, abreuvé de fromage et de vodka, calme et presque humain, livré au roulement de la mort, délivré de l'amour, estival oh mon dieu
et je reprendrai le jeu des Pierres, exilées de par le monde, écrit par une main intérieure dont j'ose me glorifier - cruel moment de la bagatelle hiératique, acclamée par moi, l'ignorant qui dérive au large avec un sourire au lèvres, trop sot pour comprendre qu'il va mourir, trop sot pour être troublé par mon apparence humaine, ah ah ah malheur qui réclame de l'intelligence, que viens-tu à ma porte ? ne vois-tu pas que ma maison est abandonnée, moisie, brûlée, détruite, ensevelie sous les laves, et que du reste je ne l'ai jamais construite ? ne lis-tu pas sur mon front que je n'ai pas d'adresse, pas de patrie ? livrez-moi l'étranger au sort que vous croirez bon, vous n'enfermerez qu'un sac d'os et de rêves bafoués, il y a longtemps que je me suis enfoui en-deçà de l'enfance, là où je ne connais du monde que la voix déformée de ma mère, la chaleur perpétuelle du néant et les soubresauts de l'inconnu, oh merci mon dieu dont je ne sais rien l'enfer est à présent mon foyer : un feu calme et secret brûle en effet sous les Cendres du ciel
tout s'anime à présent et vit sans aucune intention, le monde avance et tournoie sans ironie, la forêt me regarde avec un sourire, ou bien quelque fleuve dépourvu de tout m'emporte loin des soldats la nuit dans le silence des sirènes et des cris administratifs, le chant des oiseaux invisibles, l'index du jour et de la fuite, la tragédie du vagabond à demi-nu dont les bourgeois n'osent croiser le regard, celui dont la liberté résonne comme une accusation ; j'assiste, flottant sous les lumières d'un pont métallique à la nudité merveilleuse de Phrynée, tandis que l'animal chéri se perd dans le fracas de la cité du grand tyran nocturne - ses derniers aboiements sont un adieu terrible que je ne pouvais comprendre - et je poursuis ma nage
entre les saules j'ai découvert ma barque, blanche et noire, la science en est absente, je suis un pirate, un sauveur, je franchis les rocs imbibés d'hydrogène, j'oublie soudain la musique et j'embarque un peuple rebelle et pacifique - je plonge et je revois en songe tous mes futurs, le grandiose et l'instant décisif qui se répète, la lente croissance des cités inondées, cet exil, cette extase au milieu des poubelles et le jeu des enfants, la lumière sublime et dangereuse, la ferveur d'un autre songe
durant la nuit je parle des langues que j'ignore et le jour je distribue mon butin au vent, presque nu, presque humain dans le soleil pythagoricien, je mendie la colère et l'incertitude au nom d'une bible que nul n'eut le courage de consigner par écrit sous les Cendres du ciel - je parle aux corbeaux, je grave signes et portraits aux margelles d'un autre pont, je témoigne d'une liberté barbare, je ressuscite Diogène et la masse des maîtres anonymes, pour nous la révolution était consommée traversant l'Europe de ses scandales vertueux
tantôt c'est la nuit tantôt c'est le jour le monde en plein délire se fige et se trompe de nom et de chemin, ocre ou turquoise, il dévide ses promeneurs cultivés cardiectomisés le long du fleuve mythique, où la folie du christ aurait dû s'embraser une seconde fois, dépourvue de dogmes et de croix, un dieu silencieux que seuls les fous comprennent, ceux qui portent en eux le souvenir secret des arbres en spirale, de la lune en sang, ceux qui se sont délectés du chaos de l'univers, ceux qui n'ont plus de nom, qui ne savent plus travailler, étendus parmi les lys des champs, les cadavres de moineaux joyeux, les papiers gras où l'on distingue encore quelques bribes de phrases en Yiddish 'gey schlofn meshugine !' les graviers en forme de grimoire comme au retour d'Afrique, les falaises nocturnes où je tentais une danse sacrée, la jetée nostalgique empourprée de saletés, les toits lumineux, l'escalier d'une académie en ruine où l'on apprend à déclamer des propositions invérifiables, les arbres en spirale et les Cendres du ciel, les magazines charriés par l'inondation et le vent, la vie qui retourne à la normale, la torpeur de vos Républiques
mais tout s'efface lentement les marbres et les écorces perdent leurs visages un à un, et je dois survivre à ce monde impersonnel et figé, trouver des habits et des mots cohérents, restaurer mon nom, mais Babylone tremblera de nos chorégraphies, jetées sur le sol noir et amical, cosmiques et dérisoires, fables lancinantes & mythes impromptus, désarmés et néanmoins mortels, mais avant cela nous savourons la lisière du silence sur un tapis de neiges urbaines en crevant de froid, et j'attends le jour comme jamais, un bout de pain, une clope, et ces connards en costard qui te filent pas un seul morceau d'euro ou de vermisseau, mais tant pis je survivrai, et après tout c'est pas si mal de sentir cette rage du laissé-pour-compte, compagne universelle des deshérités, sauf que je bien envie de leur péter la tête avec cette planche, sauf qu'après c'est toi qui va en taule, enfin on verra si c'est la résignation ou la faim aui vaincra à l'intérieur de ma marionnette, pour pas être tenté par ces brelots qui parcourent le parc dans un jogging vespéral et niais, alors que comme des milliers de manouches et consorts tu crèves la dalle, et qu'ils s'en foutent
j'attends donc le jour et le calme apparent de l'aube, sa chaleur tutélaire, la venue des signes liquides qui zèbrent le monde, les fractures superbes de la chimie, gorgées de mondes en larmes, le crissement lointain des feuillages, alors que me revient le souvenir de cette large bâche saturée d'alphabets tracés par le vent, et ainsi soudain je m'éveille au sein de mon propre labyrinthe, ses longues galeries sphériques n'abritent plus d'alambics ni de grelots, les arcs-en-ciel s'estompent et je rampe entre les Saules dans la nuit urbaine
un peu à l'est la hongrie sommeille et ses temples bourgeois sont s'un marbre trop solaire, larges avenues, masses de roc humanisé ; pour nous nourrir nous volons quelques pastèques au bord d'immenses champs de tournesols, nous traversons des ponts titanesques, sculptés de conquérants inconnus, débouchant sur des ruelles religieuses - les touristes mendient, des loups traversent la rue, des courtisanes nous saluent, Budapest, ton paradis n'est pas pour nous
plus tard au centre de Wien dans un bistrot high-tech et verdâtre j'envoie des lettres prophétiques et cryptées qu'aucun humain ne pourra comprendre et je danse au sommet d'un échafaudage, frappant les tubes et l'écran de mes genoux et de mon crâne ensanglantés, simulant par mon martyre inaperçu la musique absente, et tous les flyers qui traînent sous les tables confirment mes hypothèses sur des interactions d'aliens dans l'histoire mondiale, mais le monde existe à peine et seul sur l'estrade je danse durant des heures en vrillant mes yeux dans la lucarne du projecteur qui diffuse des arabesques mathématiques et des films expérimentaux imbitables, toutefois dans le faisceau coloré chaotique, je crois encore une fois discerner les paroles du dieu Muet, plonge ton regard dans la source infinie bordel !
dans les toilettes je découvre un défilé de miroirs digitaux qui me révèle mon vrai visage bon sang c'est pas beau à voir 001001110101110111011000000111001111110011010110010 et pourtant c'est là l'essence de notre monde _la nuit liquide saisit mon squelette et mes cendres s'agitent, je ne sais plus si la musique est interrompue ou si je suis devenu sourd, je suis seul parmi des démons tremblants et assoifés, des Australiens m'invitent à boire et je finis les bouteilles abandonnées, l'alcool remplira son triste office de joie, alors je bondis sur les tables, je fais tournoyer des cordages dans l'indifférence générale je deviens un dieu au bord d'un fleuve noir, à présent je peux danser sans musique et sans corps, comme un chien silencieux, je détecte les effluves de l'acide dans le vent froid, je sais que mon cerveau est inutile, noyé dans un flot de rayons gris, mon oeil est transpercé de solitude et d'orgueil ; l'apocalypse interne revient comme un artiste furieux, je n'ai pas un sou en poche, peut-être n'ai-je plus de poches (je n'ai pas le temps de vérifier) aveugle et paranoïaque je cherche une église, un signe de mon existence, et je traverse la ville qui dort
dans une station de métro désaffectée je rencontre l'âme de mon grand-père, le pauvre homme malgré sa science ne peut m'aider, il fait cuire ses pâtes sur un vieux réchaud, sa femme traverse la pièce sans un mot, je sais à présent que je suis parmi les morts, déjà dans le bus tout à l'heure je voyais bien que les vivants ne me voyaient plus, peut-être me suis-je noyé dans le Danube sans m'en rendre compte, j'ai nagé trop longtemps en état d'ivresse
son regard est triste et profond comme le Styx (à présent je peux nommer les éléments du monde à ma convenance qu'ai-je donc à perdre ?) terriblement réel, et dans les vitrines de babioles autrichiennes mon Doppelgänger orageux se moque de moi et tout autour des milliers d'objets inutiles narguent ma faim dans l'obscurité, des gnomes vitrifiés virevoltent dans le vitriol solide, des trophées tantriques trônent dans la pénombre, le sol est lisse, atroce, et dans un sursaut de souvenirs sauvages, ma forêt me manque, la quiétude baroque des arbres entortillés, le florilège musical des semi-remorques, la sainte fraternité des brigands, la soupe anachronique au petit matin, le jeu des Pierres et la route marine des futurs lointains § le capitaine a sabordé la nef translucide il retourne à son pauvre corps en perdition dans les sous-sols d'une ville inconnue (si ce n'est la superbe usine de Hundertwasser, temple où se firent les adieux du Paradox, soudain redécouverte)
Mon cauchemar prend fin, un autre est amorcé. un chant me déchire, absent, liqueur d'un amour pur qui semble mille fois interdit à ma chair en quarantaine, son corps virginal est enfoui dans les lointains, dans des cités décrépies avec ses blocs taggés ses parcs minables ses bibliothèques glaciales, un charme qui ne peut sortir de l'esprit, elle elle elle est... Voyageur imprudent égaré dans les rues du silence et de l'exil tu dois oublier sa chaleur car tout abri t'est interdit tu ferais bien même d'oublier son nom qui peut sceller ton désespoir et l'évoquer du fond des limbes, vas-y replonge ta cervelle dans l'une des arcanes de ton ivresse, présente ou passée qu'importe
so be it : le soleil s'interpose à présent entre mon oeil et la chair du ciel, c'est un signe Abrupt : la Pierre suinte et brûle au creux de mon poing comme un talisman maternel arraché d'un horizon lacustre où des générations de sorciers scrutèrent les esprits, marbre azur artificiel qui me glisse entre leurs rangs, riche de cette violence qui n'est plus humaine, celle d'un astre dont la lumière égorge l'espace : là je n'existe pas encore et ma puissance est sans limite, quoique invisible § je suis un monstre et l'herbe est mon temple instinctif ; bientôt je me faufilerai dans la forêt cherchant l'ombre et la poésie brutes entre ses jambes, m'enraciner dans ses nuances, mon visage brisé par le vent et les visions qui ressuscitent en plein jour
nuit la plus profonde ô ma vision racine encore autour de mes cerveaux colorés la vie m'échappe à grands cris je me tords de fièvre et non sans délice un sarment de vérité surnage après le passage du typhon Je suis libre !
si bémol soudain brun sombre étagé de maisons mouvantes pagodes au seuil des précipices toute une civilisation qui n'exista que dans un fracas de mes paupières, et c'est l'inauguration d'un flot de reptiles : Escher s'incarne ici jusque dans ses coloris pastels, devant derrière à l'infini ses créatures silencieuses sont juxtaposées jusqu'à la jouissance, imbriquées dans une ébriété lubrique, et pourtant chastes et fictives car elles ne font que constituer le monde dans une large trame éburnéenne, un monde absurde et peuplé de chimères instables où ton regard ne butera sur rien d'humain, rien que des masques emboîtés les uns dans les autres, un monde sans ordre et sans matière, absolue copulation antérieure au sexe, perfection en délire qui abolit jusqu'au désir, Rémanence brutale et saccadée de tous les fragments de ce qui pour toi hier était réel, ainsi ces milliards de lézards picturaux, vision archaïque d'un esprit suractif qui s'exerce à notre insu, car le génie est inconscient, doxazein oud'eph'hemin, mais je m'égare, je m'écarte de la vision, je succombe à la pensée, tandis que des flaques de soleil frappent ma fresque d'une finesse infinie ; à ma droite un bosquet de nymphes entame une danse étonnante (je surprends leur nudité ligneuse, leur beauté inhumaine) seuls d'imprudents moustiques me signalent que j'ai peut-être un corps, une énigme, mais qu'ils aient raison ou non je n'y ai plus accès, il n'y a plus qu'un tapis d'ombres et de reptilesnbsp;
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