Conscience et existence
L'être est une idée; l'idée même en est une. Il doit toutefois y avoir quelque chose par quoi ce qui est est, même s'il s'agit purement d'une apparence, il doit y avoir ce qui perçoit et pense. Les objets et leurs relations sont donnés dans une contingence et une complexité infinies. Tous les jugements, de science ou de valeur, à leur égard sont de fait arbitraires, pour user d'un mot exact, la pensée devant négliger la totalité de son processus et sa nature pour s'isoler dans une avenue particulière de son exercice.
Le souci de connaître n'est un champ superlatif et dominant que lorsqu'il n'est plus fait état de sa qualité de processus mental insécable d'une vie globale, elle-même engoncée dans notre monde, qui décourage toute tentative d'inscriptions et comprendre cette poussée vers le simple et la nudité q'uon a longtemps nommé DESIR DE VERITE.
Si la perception était toute la vérité, aucun écart, aucune question n'aurait eu lieu. Si le souverain bien était un vrai logique, l'humanité aurait peut-être trouvé son repos dans les mathématiques. Si Dieu était une réponse à la hauteur de l'interrogation ouverte par cette idée, le monde et la science seraient comme de trop.
Mais la pensée comme la vie est en travail, existe en mouvement, et aucune thèse ne peut recevoir le sceau du définitif, de mëme qu'un insecte épinglé n'est plus un animal vivant. Aussi réussie qu'elle soit, la floraison d'un arbre ne dispense pas du prochain printemps, et les religions, les artistes, les philosophies et tous les actes des hommes se succèdent sans plus de progrès que les saisons. L'illusion est ici celle de pratique "avancée, décisive", sans parler de mythes passéistes des pertes regrettables.
Nous voyons la même terre et les mêmes cieux que les anciens, les montagnes sont avec la même majesté aride, les fleuves ont la même impermanence, l'âme humaine semble toujours insondable, et chaque aube a cette même fraîcheur d'un présent qui s fait sans but sans résumé ni domination. Nous ne pouvons vivre autre chose que ce fait philosophiquement fondamental, "la contingence de tout ce qui est", sachant que cette désignation non plus ne fera pas l'affaire.
Si la vraie vie était ailleurs, tout le monde serait allé s'y installer, et tout le monde aurait sans doute pu voir qu'ailleurs n'est qu'un autre ici – mais si elle était ici, il en serait si peu question que l'expression n'aurait pas même lieu d'être. A moins qu'il y ait coïncidence trop étroite pour être coulée dans les entrelacs des mots, et que ce qu'on cherche soit trop proche pour ne pas être éloigné par le remous d'un geste de quête. En particulier, lorsque l'object de l'investigation devient exclusivement le sujet, de lourds paradoxes émergent, une paralysie se déclare et la pensée oscille entre une évidence vide et l'aveuglement.
Que veut dire une source du langage? L'origine du corps y est incluse et y est omniprésente secrètement, que ce soit le sexe ou le génôme. Le mot origine est un mot, et rien de cela n'est localisable – c'est seulement par effet de combinaison que des mots semblent découler d'autres mots. Des corps engendrent d'autres corps, et des idées semblent donner lieu à d'autres, et l'on confond facilement une sucession temporelle et une ontogénique.
Le flou est porté en premier chef par l'entour du moi : est-il source de ses actes? S'il est clair qu'il n'est pas cause de ses perceptions, comment le serait-il des pensées? et s'il n'est pas cause il doit être réceptivité – fausse alternative, l'observateur ultime est le créateur.
"O conscience ne perturbe pas le mental par des certitudes et des incertitudes!"
Ashtavakra Gita XV, 16
|